L’existence et le temps

 

 

C’est dans le temps que se déroulent tous les événements qui jalonnent une existence humaine. Il faut bien sûr distinguer le temps de l’horloge, le temps mathématique et le temps ressenti, donc vécu de manière différente selon chacun d’entre nous. La notion de temps nous paraît aller de soi : tout le monde croit savoir ce qu’est le temps. Et pourtant, on ne peut jamais le mesurer sinon par la médiation des phénomènes physiques. Mais si le temps vécu paraît élastique, le temps objectif se déroule inexorablement. Le temps est-il une propriété de notre esprit ou de la réalité ? S’il n’y avait aucune conscience humaine pour le mesurer ou pour le vivre, le temps existerait-il ?

La question de l’existence humaine est la question centrale de tout individu car elle pose en même temps celle de l’angoisse. Devant le temps limité qu’il nous est donné de vivre, chacun réagit différemment : en fuyant dans le divertissement, en se repliant, ou en essayant de faire de sa vie une expérience épanouissante. C’est donc bien le temps et la façon dont nous l’occupons et qui donne sens à l’existence. Dire que rien n’a de sens puisque la mort est l’horizon certain et indépassable de chaque conscience, c’est encore donner du sens.

 

1 – Qu’est-ce que le temps ? Quelques caractéristiques

 

Seul l’homme a conscience du temps et de la limite de sa vie dans le temps. L’existence humaine est ainsi conditionnée et personne ne sait combien de temps il vivra. Prendre conscience de son existence, c’est prendre conscience de sa finitude.

 

Le temps est insaisissable

« Qu’est-ce donc que le temps ? » demande Saint Augustin dans Les Confessions. Si personne ne me le demande, je le sais bien ; mais si on me le demande, et que j’entreprends de l’expliquer, je trouve que je l’ignore. » Il le définit comme « distension de l’âme », c'est-à-dire comme le temps personnel de l’âme. Alors que le temps est une notion familière à tous, personne n’est capable de le définir clairement, avec des mots. Et si le langage est ici impuissant, ce n’est pas à cause de ses limites mais bien parce que la réalité est proprement impensable

 

Et pourtant, bien qu’incompréhensible, le temps est cependant une évidence. Car sans lui, rien ne se passerait jamais dans le monde ou dans notre âme. Or, des événements se produisent au présent pour devenir ensuite des événements appartenant au passés. De même, nous pouvons prévoir des événements futurs. Mais que dire du passé, puisqu’il n’est plus, et que dire du futur, puisqu’il n’est pas encore ? Bien plus : le présent devient du passé. Et si quelque chose qui est devient ce qui n’est pas, ne doit-on pas en conclure que le présent, lui aussi, n’est rien ? De sorte que si on raisonne de la même façon pour le futur, on devra nécessairement conclure que le temps n’est rien puisque ni le passé, ni le présent, ni le futur n’existent. Or, le présent qui maintenant cesse d’être futur devient immédiatement du passé.

 

Dans ce cas, soit le présent n’existe pas, soit il se limite à un espace infime entre le passé et le futur, c’est l’instant. Pour Saint Augustin, ces contradictions marquent les mystères insondables de la création divine. Car contre toute raison, nous n’en persistons pas moins à parler de présent, de passé et de futur, que nous sommes incapables de mesurer.

 

Condition fondamentale de toute existence humaine, condition universelle et nécessaire de toute connaissance, le temps, comme l’a montré Kant, est à jamais insaisissable. Le temps n’est pas une réalité en soi (de même que l’espace). Il constitue un cadre a priori dans lequel se produisent les phénomènes. Il n’est pas une réalité absolue. Contrairement à Platon ou à Descartes, Kant en conclut que la connaissance universelle absolue n’existe pas pour l’esprit humain car elle est inatteignable pour lui. L’homme ne peut connaître que les phénomènes. Ce qu’est véritablement la chose en soi, ou noumène, reste à jamais inconnaissable. Le temps n’a aucune réalité objective, parce qu’il est une caractéristique de notre esprit. Le temps ne caractérise pas la réalité en elle-même, mais seulement la manière dont nous l’appréhendons. Mais comme pour l’espace, cette conception conduit à une coupure radicale entre la pensée et le monde réel, qui sera critiquée par Hegel.

 

Le temps est irréversible

Insaisissable, le temps est aussi irréversible. Ce qui a lieu ne peut pas ne pas avoir eu lieu. Le passé, le sens que l’on donne à sa vie s’interprètent de multiples façons, mais le passé ne peut être ni défait ni refait. Retour vers le passé et aventure dans le futur sont d’ailleurs les thèmes préférés des auteurs de science-fiction. Tenter de retourner dans le passé pour transformer une situation présente, essayer de comprendre pourquoi le monde est devenir tel qu’il est : voilà un fantasme qui habite les hommes depuis toujours.

 

Le temps est l’expérience vécue, éprouvée, donc subjective, dans laquelle se déroule toute existence. Temps individuel ou collectif, temps du souvenir ou des projets, nous sommes englués, « embarqués », dit Pascal, dans un temps qui nous échappe que nous ne parvenons pas à saisir.

 

Le temps est mouvement et changement

Le temps est par essence mouvement et tout ce qui est soumis au temps change. Cet écoulement du temps est vécu comme une dégradation. « Tout s’écoule », dit le penseur présocratique Héraclite, c’est pourquoi l’ « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». L’homme et l’univers sont soumis au devenir.

 

Le temps est donc cet obstacle que l’on ne franchit pas sans quitter la vie. Angoisse, inquiétude sont le lot de tous les mortels conscients. Le temps est « la misère de l’homme » (Pascal). L’homme ne supporte pas ce qui le renvoie au néant : l’ennui, le silence, l’immobilité. Il cherche toutes les occasions de se divertir. Mais personne n’échappe au temps et sans doute encore moins ceux qui s’étourdissent dans le divertissement.

 

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