Autrui

 

 

Lors de notre venue au monde, Autrui est déjà présent. Il l’est physiquement avec par exemple nos parents, nos frères et sœurs. Sa présence se fait aussi sentir dans notre environnement même s’il en est absent. Exemple : c’est autrui qui a peint ce tableau ou fabriqué cette maison.

 

Autrui est indispensable à notre existence pour nous aider à survivre et pour que naisse en nous le sentiment d’exister. Autrui donne forme à une communauté dans laquelle autrui est à la fois semblable et différent. Du latin alter huic qui signifie cet autre, autrui renvoie à l’idée d’un être humain quelconque, un homme en général, un alter ego, c'est-à-dire celui qui est séparé de moi, différent de moi (alter) mais me revoie aussi à moi en tant que sujet (ego). Il est à la fois un autre moi et autre que moi. Autrui est donc à la fois autre et le même. D’où le paradoxe suivant :

 

. s’il est alter, il est l’extériorité, du côté du monde, et s’évanouit donc en tant qu’ego ;

. s’il est ego, le même, c’est aussi qu’il s’identifie à moi, perdant dans le même temps son altérité.

 

Fusion, proximité, distance, éloignement, familiarité, étrangeté définissent le rapport à l’autre. Autrui est dans tous les cas une figure qui pose question.

 

 

1 – Autrui, condition de soi – espoirs et difficultés

 

Cette dimension n’a pas été reconnue par la philosophie classique. En effet, Descartes fait du cogito ergo sum la première certitude atteinte par et dans une conscience seule. C’est le solipsisme. La conscience de soi ne passe pas ici par l’autre. L’existence d’autrui est ici le résultat d’un raisonnement par analogie et la conscience de l’autre découle de la conscience de soi ?

 

A peu près dans le même esprit, Pascal, pense qu’il est impossible de connaître et de communiquer avec d’autres consciences. Même dans l’amour, c’est impossible. « On n’aime jamais personne, on n’aime que des qualités ». Nous ne percevons que l’extériorité du sujet ; seul Dieu est capable de connaître une personne.

 

Pour ces deux philosophes, il y a donc une solitude ontologique. Autrui est l’autre, celui que je ne peux atteindre ni rencontrer. D’autres penseurs plus proches de nous ont une vision différente.

 

Pour Jean-Paul Sartre, Maurice Merleau-Ponty ou Edmund Husserl, la recherche de l’objectivité passe d’abord par le rapport à l’autre. C’est l’accord possible ou exigé sur un monde commun (l’accord des consciences) qui garantit la possibilité d’une vérité qui dépasse le cadre de la conscience individuelle. Sans Autrui, le monde serait réduit à une seule vision des choses. Sa présence signe l’extériorité du monde. Autrui lui donne épaisseur, relief et sens notamment au travers du langage et l’enrichit d’autres points de vue possibles. Par le dialogue, nous accédons à un univers de sens distinct du nôtre que nous pouvons comprendre. C’est l’intersubjectivité. Dans cet espace, les points de vue ne sont pas interchangeables et Autrui reste à distance. L’écart subsiste et protège de la fusion. L’altérité de l’autre est garantie alors que dans la fusion, l’autre disparaît en tant que tel et disparaissent avec lui obligation morale et responsabilité.

 

Pour Max Scheler, la sympathie est le monde de communication entre les consciences. La sympathie est le sentiment qui signe « une participation affective », c'est-à-dire un acte « intentionnel » tourné vers Autrui. Il s’agit de partager une joie, une souffrance sans pour autant l’éprouver. La sympathie distingue les êtres tout en les prenant en compte. Il s’agit d’éviter la fusion ou la contagion affective qui se répand par exemple dans une foule, une fête ou une rencontre sportive. Dans ce cas, l’individu reproduit passivement les sentiments d’Autrui. Il ressent « comme » au lieu de s’en tenir au ressentir « avec ». La fusion mêle les êtres ; elle ne les distingue pas.

 

Pour Martin Heidegger, cette confusion permet l’émergence du « on », signe d’une emprise sur les autres. Le « on » n’est personne en particulier et tout le monde à la fois. L’individu se dissout dans l’existence de tous. S’en suivent un nivellement conforme à la moyenne, une indistinction des êtres et la disparition de la responsabilité. Dans le « on », chacun est l’autre et personne n’est soi-même.

 

Mais c’est avec Hegel, dans la Phénoménologie de l’esprit qu’Autrui devient une dimension essentielle de la conscience de soi. Hegel a montré que l’élaboration de la conscience de soi n’est pas un processus de type cartésien. C’est par la médiation d’Autrui que je peux me mettre à distance de moi-même. Selon Hegel donc, la conscience de soi passe par la reconnaissance d’une autre conscience. Dans la dialectique du Maître et de l’esclave, cette reconnaissance s’effectue sur le mode de la lutte : chaque conscience cherche à s’imposer en niant celle de l’autre. Qui est la Maître ? Qui est l’esclave ? Pour Hegel, celui qui choisit la vie finit par se soumettre et devient donc l’esclave alors que celui qui préfère la liberté à la vie endosse le rôle du maître. C’est en effet en risquant sa vie, en acceptant l’éventualité de la mort que le sujet accède à l’autonomie. «L’individu qui n’a pas mis sa propre vie en jeu peut bien être reconnu comme une personne ; mais il n’a pas atteint la vérité de cette reconnaissance d’une conscience de soi indépendante ».

 

Mais le Maître est plongé en plein drame car il n’est reconnu que par son esclave, c'est-à-dire sa chose et non par une conscience libre. Ce conflit des consciences n’est qu’un moyen de retour sur soi car la résistance de l’autre est nécessaire à l’exploration des limites. Pour Hegel, le conflit est un moment qui est appelé à être dépassé. A force de conflits répétés, chacun comprend que seule la reconnaissance réciproque est une solution durable. Le respect peut alors s’installer. Chez Hegel, la dialectique est un mouvement de l’esprit qui dépasse une contradiction pour aboutir à une synthèse. La conscience de soi suppose donc la relation à une autre conscience de soi.

 

Au contraire, Sartre voit dans le conflit des consciences le fondement constitutif de toute relation à Autrui. Par le regard qu’Autrui pose sur moi, je suis destitué de ma liberté originelle et transformé en objet. Imaginons que je sois seul dans un parc : ma conscience appréhende toute chose comme mes objets exclusifs. Voila qu’Autrui apparaît. Il me faut alors compter avec cette présence qui voit la même chose que moi et qui, de plus, m’englobe dans sa vision. Me voilà à mon tour réduit à l’état d’objet parmi les objets. J’en perds ma liberté. Alors, oui, dans ces conditions, « l’enfer, c’est les autres », dit-il dans Huis clos. Affronter le regard de l’autre est toujours angoissant et la honte est le regard de l’autre qui nous avons incorporé.

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